La période qui s’écoulé entre la véraison et la récolte est appelée période de maturation. Elle correspond physiologiquement pour la plante vigne à un processus de dépôt, de mise en réserve – chargé d’assurer la pérennité des ceps (développement durant le prochain millésime) et leur multiplication éventuelle (présence dans les baies de raisin de pépins, qui sont les vrais « grains » du raisin car susceptibles de germer). Et ce processus s’accompagne d’un autre, moins visible a priori mais tout aussi important comme condition d’une maturation optimale : l’arrêt de croissance de la végétation.
En effet, sur le plan physiologique, la vigne est une plante à croissance continue (botaniquement, c’est une liane). Ce qui signifie que, chaque fois que les conditions de milieu sont favorables à la croissance, les constituants élaborés dans la plante grâce à la photosynthèse sont utilisés en priorité pour la croissance de la végétation (allongement des rameaux, grandissement des feuilles), et en second lieu mis en réserve dans d’autres organes de la plante (grappes, tronc, racines). Et cette répartition entre croissance et mise en réserve est sous l’influence du système hormonal de la plante (comme pour les animaux, la physiologie des plantes est régie par des hormones). A l’intérieur de ce schéma général, l’arrêt de croissance de la végétation correspond à un changement fondamental dans le fonctionnement du système hormonal, qui conduit à orienter les produits de la photosynthèse préférentiellement vers la mise en réserve, donc vers le dépôt de composés dans les baies – ce que nous appelons « maturation ». Et ce changement n’est ni aléatoire ni dû à quelque intervention magique, il représente la réponse que la plante élabore à la suite de modifications intervenues dans son environnement : lorsque les conditions du milieu deviennent défavorables à la croissance (sécheresse estivale, sol peu fertile, fertilisation modérée, densité de plantation élevée, porte-greffe faible …), la plante s’arrête de croître et dirige son métabolisme vers la mise en réserve; a contrario, tous les facteurs de milieu ou culturaux favorables à la croissance et à la vigueur des ceps constitueront autant de freins et donc de retardateurs à l’obtention de cet arrêt de croissance, et la maturité des raisins en sera diminuée. Il en résulte que la viticulture orientée vers la recherche de la qualité – via la maturité des raisins (« pour faire du bon vin, il faut du bon raisin ») – peut s’interpréter en dernière analyse comme la gestion de la précocité de l’arrêt de croissance de la végétation (et que l’aptitude à induire un arrêt de croissance précoce est la caractéristique essentielle d’un terroir viticole de qualité).
Aboutissement naturel du cycle végétatif de la vigne, et résultat de l’ensemble des travaux effectués au vignoble, la phase de maturation des raisins est pour nous essentielle : c’est durant cette période que sont élaborés dans les feuilles, puis déposés dans les baies de raisin, les composés responsables de la qualité et de la typicité ultérieures des vins. Le premier de ces composés, le plus important en quantité, est le sucre – élément de réserve de base chez les végétaux, qui se dépose dans les baies sous forme de glucose et de fructose (que des levures transformeront ensuite en alcool pendant la fermentation « alcoolique »). Un autre composé essentiel des raisins, comme de tous les fruits, est représenté par les acides, principalement l’acide tartrique, mais aussi l’acide malique (marque de l’acidité des fruits « verts », et que des bactéries dégraderont en acide lactique durant la fermentation « malo-lactique »). Entre ces composés quantitativement principaux que sont les sucres et les acides – et qui se trouvent dans la pulpe des baies (le ‘jus »), le sens du dépôt est antagonique: la richesse en sucre s’accompagne d’une baisse de l’acidité (les fruits mûrs sont sucrés et peu acides), lorsque les conditions de maturation sont optimales (conditions climatiques responsables de la qualité du « millésime »). Un autre groupe de composés essentiels à la qualité des vins, les composés phénoliques (tanins et anthocyanes) sont élaborés lors de cette phase et déposés dans les pellicules des baies (la « peau »), les tanins présents dès le début de la véraison, les anthocyanes (matières colorantes) déposées progressivement durant la maturation; et ces deux composés sont parmi les plus affectés par les conditions climatiques du millésime (un « grand » millésime correspond à une concentration élevée en tanins et anthocyanes, et inversement). Enfin, parmi les constituants principaux, les composés responsables des arômes du raisin puis du vin – fondamentaux dans l’expression de la « typicité » des vins, s’accumulent dans les baies en suivant l’accumulation des sucres.
In fine, le processus de maturation conduit à la maturité des raisins – résultat tant des pratiques culturales (mises en oeuvre par le vigneron) que des conditions climatiques du millésime (sur lesquelles le vigneron n’a aucune influence), maturité qui dès lors et toujours « se joue à la vigne » …