Au mois de Novembre …
Au dehors, les vignes se parent peu à peu de leurs couleurs automnales incendiaires, tandis qu’au dedans les vignerons continuent de s’activer auprès de leurs cuves … A Bordeaux, si les fermentations alcooliques sont à présent presque partout terminées, le processus de vinification n’est pas pour autant achevé car, du moins pour les vins rouges, une deuxième fermentation doit se dérouler pour que le vin soit bien né – la fermentation malolactique familièrement appelée « malo ».
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une fermentation c’est à dire un phénomène microbiologique: si la fermentation alcoolique met en jeu des levures consommant du sucre pour le transformer en alcool, la fermentation malolactique met en jeu des bactéries lactiques consommant de l’acide malique pour le transformer en acide lactique. A l’origine, l’acide malique est présent dans le raisin, et c’est un acide répandu dans tous les fruits – responsable du caractère « mordant » des fruits insuffisamment mûrs. Chimiquement parlant, l’acide malique est un « biacide », et lors de la fermentation malolactique, les bactéries le transforment en acide lactique – qui est un « monoacide ». Cela signifie concrètement que la fermentation malolactique entraîne une baisse d’acidité du vin, ce qui le rend plus rond gustativement. De plus – et ce fait est peut-être plus important encore que la baisse d’acidité, lorsque la « malo » s’est produite, les risques de développement microbiens ultérieurs dans le vin sont presque inexistants: le vin est ainsi rendu plus stable au regard de son évolution future.
Se déroulant à la suite de la fermentation alcoolique, la fermentation malolactique est à la fois plus discrète dans sa manifestation (le dégagement de CO2 qui l’accompagne est beaucoup plus faible), et plus difficile à mettre en oeuvre. D’abord parce que les bactéries lactiques présentes sur le raisin, et peu actives durant la fermentation alcoolique, se développent lentement. Ensuite parce que, à l’opposé de la fermentation alcoolique dont le déroulement s’accompagne d’un dégagement de chaleur (la fermentation alcoolique est dite « exothermique ») – ce pour quoi on refroidit les cuves durant cette fermentation, la fermentation malolactique a besoin de chaleur pour se produire (elle est dite « endothermique ») – ce pour quoi elle nécessite souvent que l’on chauffe les cuviers voire les cuves elles-mêmes au-dessus de 20°C.
Etant donc plus discrète dans sa manifestation, et plus difficile à mettre en oeuvre, la « malo » fut longtemps ignorée. Si la fermentation alcoolique a été connue à la suite des travaux de Pasteur dans la seconde moitié du XIXe siècle, le rôle de la fermentation malolactique dans le vin a été mis en évidence durant les années 1930 par le Pr Jean Ribéreau-Gayon – créateur de la station oenologique de Bordeaux et dont un des premiers élèves fut le célèbre oenologue Emile Peynaud … Mais, tout en étant inconnue, la « malo » n’en existait pas moins! Elle prenait donc des formes très variables, suivant les lieux (les cuviers) et suivant les millésimes: soit elle ne se produisait jamais (les vins demeuraient légèrement acidulés, « pointus » dans le langage vineux); soit elle se produisait insidieusement, et plus tard dans le processus d’élaboration du vin – par exemple durant l’élevage en barrique (retardée par le froid hivernal, la « malo » pouvait se dérouler au printemps suivant, lors de la remontée des températures, ce qui provoquait un léger mouvement dans le vin – à l’origine probable du vieil adage « la vigne pousse, le vin travaille »!); soit elle se produisait … en bouteille, plusieurs années après et de façon complètement aléatoire (combien de vénérables flacons du passé se sont trouvés pétillants au débouchage alors qu’ils n’avaient pas la moindre parenté avec le célèbre vin de Champagne!).
Désormais bien connue, elle est soit recherchée et sa mise en pratique s’avère de plus en plus maîtrisée – s’agissant des vins rouges qu’elle rend plus agréables à boire jeunes; soit elle n’est pas souhaitée et est empêchée – s’agissant de vins blancs auxquels l’absence de « malo » conserve plus de fraîcheur.